Voici une réponse à notre « lectrice » qui fustigeait le mois dernier les « portions minimalistes en forme de tableaux de Miro » de certains restaurateurs de Bali.
1ère partie : Le point sur l’histoire de la Nouvelle Cuisine.
Dans les années 6o, les échanges culinaires entre la France et le Japon symbolisèrent la rencontre et l’attraction de deux cultures opposées. Dans notre patrimoine culinaire français, depuis des générations, les chefs avaient surtout la réputation d‘être de bons sauciers. Les plats les plus appréciés étaient les gibiers à plume et les viandes en sauce comme le chevreuil, le lièvre, le sanglier, rassis et faisandés à l’extrême et marinés avec des vins puissants et tanniques. La bécasse par exemple, était suspendue par un nerf à la hauteur de la gorge jusqu’à la rupture de celui-ci, signe qu’elle était suffisamment faisandée et qu’il était temps de la cuisiner. Elle était préparée dans les règles de l’art et la sauce liée avec les intestins. Le goût de ces plats poussés à l’extrême faisait passer loin derrière l’esthétique. Imaginez donc la surprise de ces chefs pionniers découvrant un monde imprégné de culture zen bouddhiste pour qui l’espace vide a égale importance avec l’objet. Jugez plutôt : la décoration florale minimale, l’espace vide des maisons, le plat d’une mini portion de dégustation, la beauté de la céramique lors de la cérémonie du thé ou tout commence par la lente contemplation de la tasse qui tourne lentement dans la main, tous ces concepts extrême-orientaux en somme !
Sans oublier le côté obsessionnel de la recherche de l’extrême fraîcheur. Certains restaurants japonais proposent en effet des filets de poissons émincés très fins et reconstitués sur le poisson vivant duquel on vient de prélever la chair, avec une extrême attention pour ne pas endommager les organes vitaux. Les chefs japonais eux, étaient intrigués par le goût puissant des sauces des chefs français. Ces derniers étaient confrontés à la fraîcheur, au minimalisme et aux saveurs épurées de la cuisine japonaise ainsi qu’à sa présentation délicate. Cette rencontre des chefs ayant absorbé le premier choc d’influences mutuelles, ils décident de jumeler certains hôtels comme le Crillon à Paris avec l’Impérial Hotel à Tokyo. Les écoles hôtelières japonaises envoient en stage non rémunérés des étudiants japonais dans les 2 et 3 étoiles Michelin français. Nos chefs, encore imprégnés et émerveillés par la culture asiatique, ayant absorbé ces influences, décident d’épurer et d’alléger la cuisine française. Ils commencent par les sauces et remplacent les farines de liaison par des purées de légumes pour épaissir. Ils passent des portions à la carte menu 3 plats à un menu dégustation 6 ou 7 plats, commencent à utiliser des produits exotiques…
Michel Guérard fut certainement le premier chef français à utiliser de l’agar-agar dans sa cuisine minceur. Alain Senderens utilise le gingembre avec la tarte aux zestes d’orange, ou la mangue et la vanille avec une salade de homard. Rappelons qu’il fut un des premiers chefs « fusion », avant même que les chefs Anglo-saxons labellisent le mot 20 ans plus tard. Alain Chapelle qui travaille un style épurée, mélangeant produits simples et produits nobles, Troisgros qui développe son propre style, Roger Verger qui explose et réinvente le style bien avant Jacques Maximin, Outriez qui utilise le basilic thaï avec du saumon. Enfin, quelques années plus tard, Joël Robuchon emploie de la sauce soja dans certaines sauces. De 60 à 70, les chefs sont prêts pour un tournant dans l’histoire de la cuisine avec l’aide d’un nouveau guide dont le style est plus moderne que le sacro-saint et hyper classico Guide Michelin !
Donc, un jour des années 70, Christian Millau prend en photo sous l’aile du Concorde des chefs comme Bocuse, Lenotre, Verger et d’autres et déclare : « Ceci est la Nouvelle Cuisine française ». En 40 ans, cette Nouvelle Cuisine a explosé en une myriade de styles et évolutions personnelles et a permis de découvrir de réels talents avec la 2ème vague des chefs : Robuchon, Bras, Maximin, Chibois, Loiseau, Meunault, Gagnaire, Trama, Savoie et Ducasse. La 3eme génération est celle des chefs étrangers qui, inspirés et formés au style français ont ouvert des restaurants dans leur propre pays tels le Suisse Girardet, l’Allemand Wiseman, l’Italien Marchesi, le Britannique Marco Pierre White et les Américains Keller et Trotter. Mais cette Nouvelle Cuisine est très mal perçue du public où l’on trouve bien évidemment tous ces « hardcore » du classicisme, allergiques au changement. Fort à parier quand même que si on leur donnait à déguster des gibiers cuisinés comme il y a 50 ans, ils trouveraient ces viandes faisandées à l’extrême, immangeables. Faisandé : début de putréfaction dit le Larousse gastronomique !
Donc, pour en revenir à la restauration à Bali, on va du simple warung aux cuisines d’hôtels internationaux, en passant par le spot trendy, le bistrot, quelques restaurants « fusion », le resto cher où il est bon d’être vu, les établissements de « la rue de la faim » qui sont très budget pour la plupart. Certains des restaurants de cette rue servent une cuisine à prix presque coûtant et ont pour seule raison d’être la fierté de leur propriétaire fortuné. On y trouve aussi des endroits plus up market qui servent une cuisine plus classique autour des saveurs et des valeurs de la cuisine bourgeoise ou familiale. L’occasion de célébrer tous ces souvenirs gustatifs liés à l’enfance, comme le bon goût beurré d’une purée ou le craquant d’un millefeuille monté à la minute se mélangeant à l’onctuosité de la crème mousseline à la vanille… Ah ! La légèreté d’un soufflé où la superposition de chaud et froid de la glace vanille et de la sauce chocolat chaude contrastent avec la légèreté d’une coque de choux…
François Seurin
La suite le mois prochain… « Pour en finir avec les blasés de la mini portion »
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