un marché hôtelier juteux pour le groupe Accor

 
Sous le titre « Un marché hôtelier juteux pour le groupe Accor », un lecteur nous explique pourquoi il n’a pas apprécié notre papier « Business » sur Franck Loison et le groupe Accor dans le numéro d’octobre dernier...
 
En octobre, lorsque vous présentez - très admiratifs - le plan carrière de Franck Loison et qu’il vous dit : « A Bali, l’offre de chambres croît plus vite que le nombre de vacanciers » et que dans le même temps il affirme que « les perspectives de développement sont loin d’avoir atteint leurs limites sur notre île », le paradoxe ne vous frappe
pas ? Et lorsqu’il affirme sans vergogne « les sommes en jeu éliminent petit à petit tous les petits hôtels de famille », vous ne trouvez rien à dire ? Et quand il assure que le moratoire sur la construction d’hôtels voulu par les élus du peuple balinais n’est pas prêt de voir le jour parce que tous les grands groupes hôteliers y sont en compétition, cela ne vous émeut pas plus que cela ?

Pensez-vous vraiment qu’Ubud a besoin du Sofitel et du MGallery qu’Accor veut y ouvrir ? Cela ne peut réussir qu’au détriment de ceux qui ont créé les guest houses et les établissements de toutes classes qui ont fait le charme de cette destination culturelle depuis des dizaines d’années et dont le sens de l’hospitalité n’a rien à apprendre de la superficialité bourgeoise de l’hôtellerie à la française dont la riche clientèle de rentiers fait tellement rêver Monsieur Loison.

C’est son droit de parler comme il parle, n’est ce pas votre devoir de journaliste d’en souligner le cynisme et de mettre en garde contre un développement incontrôlé de l’industrie touristique au détriment « des petits hôtels de famille » et finalement de la culture balinaise qui reste la raison majeure de l’arrivée des touristes à Bali ?



Yvan Vandenbergh


La réponse de la rédaction…




Cher monsieur, merci d’avoir pris la peine de nous écrire. Concernant le premier point : « les perspectives de développement sont loin d’avoir atteint leurs limites sur notre île », vous prêtez à tort à M. Loison un propos qui figure dans le chapeau de l’article et donc émis par le journaliste. Notre journaliste fait référence à des études et des propos tenus par les plus hautes autorités du tourisme sur les perspectives de développement de Bali, c’est un fait, il y aura d’ici quelques années des millions de touristes en plus à Bali. M. Loison est bien placé pour savoir que les hôtels existants sont bien loin d’un taux de remplissage à 100%, il n’empêche que nous assistons actuellement à une course effrénée au développement.

C’est bien sûr un paradoxe mais si vous avez lu l’article avec attention, vous avez remarqué qu’Accor ne fait que de la gestion hôtelière et n’est en rien propriétaire des murs. Mieux que cela, ce sont les propriétaires terriens ou les investisseurs qui font la démarche de faire appel à ce groupe français pour gérer leurs hôtels. Je suis bien en peine de répondre au nom d’Accor mais je me demande à haute voix au nom de quoi Accor devrait refuser des contrats au prétexte qu’il y a déjà assez d’hôtels à Bali ? Si le business plan est valable et qu’Accor est capable d’apporter aux propriétaires de l’hôtel, tous indonésiens, les bénéfices escomptés, il me semble que nous ne pouvons que nous en féliciter.

Bien sûr que le paradoxe nous frappe mais ce n’est pas le sujet de l’article. Si nous pouvions interviewer le bupati de Badung, le gouverneur de Bali ou le ministre du Tourisme, nous lui poserions toutes ces questions qui nous démangent sur le développement totalement incontrôlé de Bali. Dans ce numéro, nous publions un grand papier sur la crise de l’eau à Bali, elle est en partie liée au tourisme et à la consommation d’eau des hôtels. Il y a un moratoire lié à la construction de nouveaux hôtels à Bali comme nous le rappelons dans cet article mais il n’est pas respecté. On ne peut pas tout révéler dans cette réponse mais c’est un fait que pour construire un hôtel, il faut une cinquantaine de licences et il faut croire que ces licences rapportent beaucoup d’argent à ceux qui les délivrent.

Concernant le second point, « les sommes en jeu éliminent petit à petit tous les petits hôtels de famille », là encore vous prêtez à notre interviewé des propos écrits par notre journaliste. Oui, il est avéré que le goût de la classe moyenne s’oriente de plus en plus vers des hôtels standardisés avec écrans plats et climatisation plutôt que des hôtels de famille avec murs en bedeg, gecko hurlant la nuit et ventilateurs poussifs. Je grossis le trait avec un peu d’humour mais il est vrai que le cœur de la population touristique asiatique (90% des touristes qui déferlent sur Bali) préfère des hôtels qui sont aux antipodes des goûts des touristes européens. C’est tout à fait souhaitable que de petits hôtels familiaux se maintiennent, ils contribuent bien plus à la stabilité du tissu économique local mais c’est un fait qu’ils n’ont pas les moyens ni de résister en terme d’offres de service ni de plate-forme de réservation ni de marketing.

Au sujet de votre paragraphe suivant sur le moratoire, vous supposez bien à tort que ce sont les grands groupes hôteliers qui contraignent les autorités balinaises à le bafouer. Comme je vous l’ai expliqué un peu plus haut, ce sont des propriétaires terriens, balinais et/ou indonésiens qui font appel à des groupes hôteliers qui n’agiront qu’en tant que prestataires pour eux.

Est-ce qu’Ubud a besoin d’un Sofitel ou d’un M Gallery ? Je n’en sais rien et je ne suis pas un habitué de ce genre d’établissements mais vous savez sans doute qu’il y a 640 hôtels à Ubud, alors un de plus ou de moins, ça ne me fait ni chaud ni froid et je ne vois pas en quoi je devrais m’en émouvoir.

Je ne trouve pas les propos de M. Loison cyniques comme vous le dites. Ils sont d’un domaine que vous semblez ignorer, celui des affaires, c’est le sujet de notre article. Ce n’est pas notre devoir de mettre en garde contre le développement incontrôlé de Bali, nous ne sommes ni une ONG, ni un parti politique, nous relatons des faits dans le cadre d’un journal et d’articles aux contours bien délimités. Il s’agissait dans le cas de cet article consacré à Accor d’exposer la raison pour laquelle les propriétaires fixaient plutôt leur choix sur cet enseigne. C’est votre liberté de dénigrer «  la superficialité bourgeoise de l’hôtellerie à la française et sa riche clientèle de rentiers », c’est notre droit de rappeler qu’elle rencontre du succès auprès des investisseurs indonésiens.

Vous semblez être un amoureux de Bali et vous parlez avec votre cœur, vous avez bien raison. Mais le monde change et Bali n’y échappe pas. Contrairement à ce que vous écrivez, la raison majeure de l’arrivée des touristes à Bali n’est plus la culture, tout le monde le déplore mais c’est une réalité et nous journalistes tâchons de rendre compte de la réalité. Les touristes asiatiques viennent flâner dans les malls de Centro ou Beach Walk, les Australiens surfent sur Bukit ou boivent des bières à Old Men’s du côté de Canggu, les Européens font leur shopping à Seminyak ou écument les derniers restos chics et lounges de Kerobokan. Ubud a considérablement changé depuis le film « Eat, Pray, Love », les prix ont explosé, on trouve sur le circuit « Monkey Forest-Jalan Raya Ubud » les grandes enseignes internationales, eh oui, on vient aussi faire du shopping, satané shopping à Ubud, ne vous en déplaise. Et malgré cela, les autorités balinaises se plaignent que les touristes ne dépensent pas assez…

Les touristes occidentaux cultivés ont une quête d’authenticité qui se heurtent frontalement à la modernité. Au nom de quoi étiqueter le Bali des années 80 avec ses petites pensions de famille plus authentique que le Bali de 2015 avec ses grandes enseignes internationales ? La force de la culture balinaise ne se loge pas dans son offre d’hébergement mais dans ses cérémonies, ses temples, ses paysages, le sourire de ses habitants.

Si j’ai consacré autant de temps à vous répondre, c’est parce que votre courrier m’a touché. Notre cœur saigne, à nous tous les amoureux de Bali, qui avons décidé de nous enraciner sur cette île magnifique. Nous souffrons de voir les plastiques la défigurer, ses eaux polluées, le béton stériliser ses rizières mais il est sage de comprendre que nous n’avons aucune prise là-dessus. Et plus encore, il nous faut sans doute nous défaire de ces images qui ont ravi nos ancêtres qui visitaient l’expo coloniale en 1931 et se réjouissaient et s’émouvaient de voir l’authenticité des indigènes qu’on leur proposait d’observer parqués dans leurs enclos. Les indigènes sont entrés dans la modernité et ils aiment maintenant loger dans des Sofitel, grand bien leur fasse.

Pour terminer ce courrier par une boutade, je reproduis le premier couplet de la chanson « Nénufar » interprétée par Alibert, qui était la marche officielle de l’expo coloniale de 1931 :



Quittant son pays,

Un p’tit négro

Vint jusqu’à Paris

Voir l’exposition coloniale


C’était Nénufar

Un joyeux lascar

Pour être élégant

C’est aux pieds qu’il mettait ses gants



 

Socrate Georgiades

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