François Seurin

Voici la suite de la réponse à notre « lectrice » qui fustigeait en mars les « portions minimalistes en forme de tableaux de Miro » de certains restaurateurs de Bali.

2ème Partie : pour en finir avec les blasés des mini portions

Enfin, à Bali, on trouve ces restaurants à vocation gastronomique, cuisine fine et subtile, où les notions de « value for money » et de « sortir le ventre plein » doivent s’effacer au profit d’un minimum d’ouverture d’esprit, de désir de découverte et de confiance envers le chef qui dirige ce voyage sensoriel. En réponse aux remarques sur la gastronomie de la « lectrice » du mois de mars, en ce qui me concerne, je ne crois pas qu’on en trouve un seul dans « la rue de la faim ». En tout cas, lorsqu’il s’agit de rapport avec l’art culinaire à son meilleur, pour visiter ce genre de restaurant, laissez vos idées préconçues, du genre taille et visuel du plat, et utilisez plutôt vos papilles ! Découvrez les superpositions subtiles de saveurs et textures et toutes ces nuances gustatives comme si vous étiez devant une toile dans une galerie d’art. Utilisez la même démarche, mais en étant focus sur le goût et ce qui ce passe à chaque bouchée. Liez à l’expérience aussi l’odorat mais n’attachez pas trop d’importance au look par lui-même et analysez chaque bouchée de ces goûts et mélanges inhabituels. Et lorsque le mini trait sur une assiette est en fait une réduction de balsamique au jasmin qui balance étonnement avec le goût d’une pèche rôtie et la garniture d’une mousse au chocolat Valrhona, laissez-vous aller ! Elle-même enferme une gelée à la feuille de citron et citrus accompagnée en touche subliminale d’une purée de peaux de citron jaune. C’est pas extraordinaire ça ? Et lorsque pour finir, cette mousse est couverte d’éclats de croûte de riz au cacao genre langues de chat contemporaines, le tout ressemble effectivement à une grande assiette un peu vide dans le style des peintures de Miro… Il s’agit là en fait d’une réelle explosion de saveurs qui serait une épreuve désagréable à manger en grosse portion, considérant la puissance des ingrédients utilisés.

Par contre, tout ça peut devenir une agréable découverte si l’on stoppe la partie « comfort zone » du cerveau liée aux repères gustatifs et aux associations connues et enregistrées depuis l’enfance. Et surtout, sans préjugé au sujet de la taille des portions. Ce n’est surtout pas la quantité qui garantit la valeur gastronomique. Celle-ci se juge sur la finesse du produit, le concept général et l’équilibre du plat. J’ai le souvenir de certains mets qui m’ont fait voyager, comme un foie gras poêlé servi avec une mini quenelle de purée de patates douces violette et une sauce pomme verte fleur de gingembre ! Le côté astringent et doux en même temps de la patate unis à la texture et au goût du foie gras chaud, surenchéri par l’acidité de la pomme et la saveur de la fleur de gingembre qui fait basculer le plat dans un exotique et séduisant finish. Ou encore une tranche de veau servie sur un effeuillé de choux de Bruxelles, chutney d’algues et une émulsion aux huîtres !

En ce qui concerne le prix d’une assiette de pâtes à Ultimo (anciennement Toscana), il faut comprendre que des pâtes à la bolognaise n’auront pas le même prix que des pâtes aux champignons importés d’Europe ou aux truffes blanches, dont le coût peut dépasser 3ooo Euros le kilo… Des truffes blanches d’Alba en Italie que le chef Julio du Toscana utilisait… Pour en revenir aux mini portions, ce n’est pas une trouvaille pour vous faire plus consommer. Pour définir un restaurant gastronomique, on dit qu’il faut une série de 6 à 7 plats incluant dessert et fromage. Il n’y a pas de restaurant à tendance gastro, il y a les gastro valeur sûre par la qualité, la finesse et la créativité, et il y a les autres évoqués plus haut. Il n’y a pas de faux gastro non plus car ça demande un minimum de formation et de connaissance culinaire avant de pouvoir créer. Et ces grandes arabesques de toutes les couleurs à la Miro sont des huiles, ciboulette, drill, curry, ou des réductions comme orange sanguine, balsamique avec de la sauge, réduction de vin ou de porto. Ou encore des émulsions très délicates de cèpes, ou une émulsion orange romarin… Donc ces arabesques ou fins nuages de bulles sont les supports visuels d’un bon plat et dans les vrais gastro (et non pseudo gastro), elles servent à quelque chose !

J’aimerai finir par une remarque sur l’évolution de la gastronomie. Si la France a vraiment marqué l’histoire et l’évolution de la cuisine dans le monde depuis les années 70, il y a une autre révolution en route. Un peu comme lorsque Picasso a révélé en 1900 ses demoiselles d’Avignon, faisant voler en éclats les valeurs classiques de la peinture, et oui, encore la peinture ! Cette révolution est espagnole et son chef de file s’appelle Ferran Adria. Il est l’inventeur de nouvelles techniques avec la… cuisine moléculaire. Il ferme son restaurant 6 mois par an pour se livrer à une recherche constante de découverte culinaire, n’hésitant pas à booster son équipe avec des biologistes qui l’aident dans sa recherche. Pour obtenir une table dans son restaurant, il y a une liste d’attente de près de deux ans.

A Bali et pour conclure en rapport avec le début de mon courrier le mois dernier, je reviendrai sur l’échange franco-japonais à l’origine de la Nouvelle Cuisine. Il y a un chef nippon à Bali dont la subtilité est proche des chefs français tels Daniel Boulu (New York) ou Stéphane Rimbault à la Napoule, dans le Midi. Il a donc une formation française mêlée à sa perception très japonaise. Découvrez la cuisine de Take San. Ah, oui, encore une chose qui a son importance pour les blasés des minis portions, les pauvres ! Le restaurant El Bulli du chef Ferran Adria, ce chef de file incontesté de la cuisine du 21ème siècle, en a décidé autrement. Il a encore réduit les portions pour arriver à la taille d’une… bouchée. Des repas de 35 découvertes successives qui vont d’un mini faux ravioli aux petits pois, en passant par un spaghetti d’un mètre de long ou un dessert purée de pommes de terre sucrées et vanillée… Et oui, la douceur d’une purée au beurre et au lait, il suffisait d’un peu de sucre et de vanille pour la faire basculer d’un monde à l’autre. Il suffisait juste d’y penser…

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motard dans la cendre

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merapi novembre 2010

face sud du merapi

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paysage de désolation après le passage des lahar