Contre-vérités et sensationalisme au JT de France 2

A la suite d’un énième sujet sur les ordures à Bali dans la presse occidentale, cette fois en France sur la chaîne France 2, voici le courrier de la Gazette au journaliste qui avait contacté notre parution pour quelques aides et contacts en préalable à la réalisation de son sujet…

Salut Pierre, j’ai été un peu étonné d’apprendre que tu avais réalisé un sujet sur la pollution à Bali (JT du 9 janvier que l’on peut revoir sur le site de France 2 sous le titre : Bali, l’île poubelle), je ne sais pas pourquoi tu ne m’en as pas parlé. Nous avions échangé à plusieurs reprises sur les entrepreneurs dont tu avais trouvé les coordonnées sur le journal, tu m’as ensuite demandé des contacts sur des sujets que tu prévoyais de tourner sur les palmiers à huile et les travailleurs du soufre sur les volcans quand nous nous sommes rencontrés au JP’s.
Les journalistes sont en quête de vérité et c’est une vérité de dire qu’il y a des soucis de management des ordures à Bali.  Mais on ne peut pas traiter de ce sujet sensible ici en ayant passé à peine trois jours sur place. Tu n’as fait de ce sujet qu’une grosse caricature en en rajoutant dans le mélodramatique avec ton plateau sur la plage à la fin.
Beaucoup de gens nous ont contactés de France pour nous dire qu’ils s’inquiétaient qu’on vive sur un pareil tas d’ordures. Alors nous les avons rassurés et nous les avons plaints aussi d’avoir à regarder des journaux télévisés aussi anxiogènes. C’est enfoncer une porte ouverte que de dire que la grand-messe du 20h est un spectacle pour maintenir les masses sous pression. Vous commencez votre journal télévisé par un sujet sur les soldes, le seul moment de l’année où les pauvres Français qui subissent de plein fouet la crise peuvent acheter à leurs enfants quelques vêtements. Et puis, pour enfoncer encore un peu le clou, des fois qu’il y aurait un peu d’espoir ailleurs, vous diffusez un sujet sur un endroit de l’autre bout du monde qui les fait rêver et vous cassez leur rêve en leur disant que c’est un immense tas d’ordures. Tout ça, c’est la société du spectacle dont tu es un rouage très actif. Fais de la fiction, lance-toi dans le cinéma mais ne manipule pas le réel pour angoisser les gens, ça manque cruellement d’éthique et c’est ce qui fait défaut à beaucoup de journalistes. Bien à toi.

Socrate Georgiades

www.francetvinfo.fr/jt-20-heures-9-janvier-2013_196677.html
La réponse de l’intéressé, qui accuse entre autres la Gazette de « faire la com’ » de l’office du tourisme de Bali, au mépris de la longue histoire du journal de traiter les sujets difficiles dans ses colonnes. Mais il est vrai qu’en ne passant que 6 jours à Bali, il est difficile de se rendre compte de ce qui s’y passe…


Du calme.

1/ je ne t’ai jamais caché qu’outre le business des Français et les deux autres sujets (palme et soufre) j’avais lors de ce premier passage en Indonésie un autre sujet à réaliser.

2/ nous avons délibérément évacué les «pires» images de pollution de Bali (photos beaucoup plus choc) et donné la parole à certaines personnes qui luttent pour changer la situation.

3/ si tu penses qu’il n’y a pas de souci de pollution à Bali je ne peux que t’enjoindre à sortir un peu de Seminyak et du camp retranché des expats. On l’a fait pendant 6 jours mais tu as raison, 3 auraient suffi.

Qu’il soit désagréable et lassant de voir encore une fois à l’antenne un sujet traité x fois quand on vit sur place, j’en conviens. J’ai le même problème avec les sujets faits sur la pauvreté ou les bidonvilles en Inde. Mais nos états d’âmes ne concernent que nous. La seule question que doit se poser un journaliste c’est : y a-t-il un problème de pauvreté en Inde ? De pollution à Bali ? Soit tu réponds «non» et tu te mens à toi-même, soit tu réponds «oui» et tu fais le sujet. Ce n’est pas une leçon d’éthique que je te donne à mon tour (je n’ai pas ta prétention), juste de journalisme - tu me prouves hélas que c’est nécessaire. Je ne fais pas de la fiction, mais je ne travaille pas non plus (directement ou indirectement) pour le service de com’ de l’office de tourisme balinais. Demande-toi à ton tour où ta réaction aveugle et tes déplorables insultes masquées te placent. Quant à l’éternelle complainte sur les JT, je te conseille de l’adresser au courrier des téléspectateurs et au rédacteur en chef du 20h. 

Je te laisse, j’ai un sujet à réaliser pour la grand-messe (satanique) du 20h sur le travail des enfants et c’est pas facile car tout le monde sait que ça n’existe pas, donc je dois embaucher une centaine d’acteurs. En plus je dois me dépêcher car les Français ont un peu le moral là et il faut vite qu’on maintienne « la pression sur les masses » dans notre but diabolique de pousser toute une civilisation au suicide (j’imagine). En toutes choses, garde tes certitudes - elles te sont précieuses.


Pierre Monégier
South Asia Correspondent
France 2 New Delhi

Le sujet au 20 heures de France 2 n’a pas échappé à un des lecteurs de la Gazette par ailleurs professeur d’Histoire spécialisé sur l’Indonésie depuis les années 80 et également président de l’Association franco-indonésienne de Lyon. Habitant à Vienne mais résidant deux mois par an à Lodtunduh d’où son épouse balinaise est originaire, il s’en indigne et nous envoie une longue lettre dont nous publions des extraits…


[...] Il y a eu sur France 2 un reportage sur Bali, il y a environ une semaine intitulé « Bali envahie par les ordures », bien comme information... Juste un constat sur cette invasion aggravée par les pluies et débordements. Je suis intervenu sur plusieurs forums en expliquant que cela était vrai mais pas lié (qu’) aux touristes. Je parlais du Brunei que j’ai visité et où il n’y a pas de touristes (j’étais le 4ème de l’année en août !) et où les ordures dépassaient l’entendement ! J’ai surtout mis l’accent sur le manque de prise de conscience de la part des habitants et les types d’ordures (petits gobelets, tongs, sac en plastiques noirs...) résultaient plus d’une consommation locale. Les touristes interrogés à Kuta ou Jimbaran se plaignaient de la présence insoutenable de déchets dans l’eau. Le thème du reportage était clair : avec 4 millions de touristes, Bali est au bord du gouffre. Dans mes arguments, je citais Anak, Peduli Alam, Adedvi, Sourires d’Indonésie mais aussi l’Ecole française de Bali ou La Gazette de Bali qui œuvrent tous pour cette prise de conscience en éduquant les habitants. Les hôtels à touristes internationaux (je ne parle donc pas pour les Javanais), les boutiques pour touristes... sensibilisent énormément leurs clients au recyclage, aux produits sans effet sur la nature (Ganesha, Bali Buddha...). Des villes indonésiennes comme Jakarta, Bandung, Cirebon, Medan, Makassar, et on pourrait en citer des centaines, croulent sous les ordures sans que le touriste y soit impliqué, les parcs nationaux dans toute l’Indonésie sont envahis de déchets... On s’en rend vite compte lorsque l’on les visite avec une classe indonésienne. Le directeur et ses instits sont les premiers à jeter paquets de cigarettes et ces maudits gobelets devant les élèves qui font de même... Bref, il y a beaucoup à faire mais il est triste que l’exemple vienne souvent de bule... injustement accusés dans ce reportage débile.

[...] Immédiatement le reportage diffusé, alors que le JT continuait, de nombreux appels et des emails m’ont été adressés. Certains se demandaient où était l’information, l’actualité au quotidien dans ce sujet. Il n’y avait pas eu un évènement marquant ce jour-là à Bali: c’était donc plutôt du domaine du reportage, à diffuser dans une thématique, en tout cas pas du tout à sa place dans un journal de l’actualité du jour... Le résultat a été réussi de la part de ce monsieur. Son idée préconçue, base de son scénario : touristes = pollution, a bien fonctionné car le nombre de touristes, les touristes filmés, rendaient parfait l’amalgame.
[...] Beaucoup de mes contacts, connaissant Bali, m’ont répété qu’ils n’ont pas été choqués par les ordures dans le Bali traditionnel, comme à Munduk, Taro, Blimbing... La raison en est, selon moi, l’éducation, la responsabilisation des banjar et autres structures 100% balinaises même si il y a parfois un coup de pouce occidental. Cet amalgame touristes = pollution les a donc blessés car ils ne se sentent pas du tout concernés par ce reportage qui les vise. [...] A Bali, il s’agit de personnes capables de dépenser au moins 1000 Euros pour faire le déplacement. Un ami m’a fait le parallèle avec les ordures «abandonnées par les alpinistes» dans l’Himalaya... Bien de les culpabiliser alors que celles-ci proviennent des sherpas et autres auxiliaires locaux qui profitent de ces produits de consommation et les laissent se «recycler» en plein air comme ils le faisaient jadis avec des produits biodégradables ! C’est exactement ce que je dis pour Bali et le reste du monde : manque d’éducation face à l’invasion de ces nouveaux déchets que le reportage montre pourtant très bien. Il ne s’agit pas de déchets laissés par des
touristes : tongs pourries, sacs en plastiques des vendeurs de rues (le touriste aura un sac plus envahi de pub !) et surtout ces petits gobelets que tout Balinais reçoit lorsqu’il part en excursion scolaire ou en pèlerinage (on voyait aussi des monticules biodégradables d’offrandes ayant servi). Un regard un peu plus éclairé aurait fait comprendre sa confusion des genres à ce «journaliste» même sans être accompagné par un avis sensé...
[...] Beaucoup d’autres réactions sur ma page Facebook venaient de personnes ne connaissant pas Bali et là, cela a été le dégoût. Inutile d’imaginer aller à Bali, quel masochisme j’avais d’habiter à Bali etc. Il a fallu que j’explique, réexplique encore et encore. Cependant les premiers propos «quel horreur», «c’est vraiment dégoûtant» et j’en passe et des plus orduriers m’ont montré que ce journaliste, encore une fois, avait atteint son objectif.

[...] C’est la seconde fois que je reçois autant de réactions suite à un reportage (mal)traitant Bali en reposant sur des angles orientés comme s’il y avait un règlement de compte. [...] L’autre reportage scandaleux que j’avais dénoncé y compris dans mes cours sur Bali à l’Ecole Supérieure de Commerce de Grenoble ou dans des interventions sur la manipulation par les médias, c’était il y a deux ans. Il s’agissait d’un reportage sur France 5, si j’ai bonne mémoire. J’avais été suivi, quelques mois plus tard par La Gazette de Bali lors de la diffusion (suicidaire) sur une chaîne française diffusée sur Bali... J’avais éclaté de rire en voyant les réactions des dindons de la farce ! Là aussi, quelques images furtives de Peduli Alam car tel n’était pas le sujet qui visait à détruire l’image paradisiaque...

François Mans

motard dans la cendre

motard dans la cendre
merapi novembre 2010

face sud du merapi

face sud du merapi
paysage de désolation après le passage des lahar