Angoisse dans les couloirs de l’hôpital de Sanglah, avec l’espoir au cœur et, au bout, la délivrance… Récit.
 
Dans ma voiture un dimanche matin très tôt de janvier 2016. Je suis en train de vivre le pire cauchemar d’un père, on vient de m’apprendre que ma fille unique est entre la vie et la mort, inconsciente, à Canggu quelque part, victime d’un accident de moto. Je ne sais pas encore si ma vie a basculé, je sais juste que lorsque je vais la rejoindre dans un quart d’heure, je vais avoir un choc encore plus grand que cette nouvelle. Ne pas brûler les feux, garder son calme, respirer. Oui, c’est un choc de la découvrir les yeux révulsés. Faire face à sa propre angoisse et à celle de sa mère à côté de moi, à tout qui peut s’effondrer à chaque instant. Essayer de comprendre l’employé de cette soit disant clinique de bord de route où on a recousu le cuir chevelu de ma fille comme des bouchers. Où la transporter ? Il semble que ça fait déjà près de deux heures qu’elle est là. Sanglah ou je ne sais plus quoi ? Sanglah bien sûr, il y a urgence. Cet hôpital public a une terrible réputation mais on y trouve tous les services d’urgence et de réanimation et les médecins puisque c’est un hôpital universitaire. On nous demande de l’aide pour la déplacer de son lit au brancard, personne ici ne semble se préoccuper de savoir si son cou et sa colonne ont été touchés, elle est déplacée sans ménagement. Me voici derrière l’ambulance qui fonce et brûle les feux de Lio Square, je pile à temps pour éviter la collision avec un autre véhicule. L’ambulance disparait au loin. Je ne sais même pas si je vais trouver le chemin de Sanglah, je n’y suis allé qu’une seule fois, il y a 10 ans lors des attentats de 2005. J’actionne mon GPS, oups, j’ai de la chance, il m’indique RSUP Sanglah. J’y arrive 10 mn après l’ambulance, les équipes s’affairent autour de ma fille dans la salle des urgences. Il y a du sang et des cris autour de nous comme dans toutes les salles des urgences du monde j’imagine. Première étape, le scanner. Il nous faut là encore prêter main forte pour déplacer notre fille sur le lit coulissant de cet engin, il n’y a que deux opérateurs dans la salle et aucun aide-soignant ou infirmier pour prêter main forte. Seconde étape, la radio. Là encore, personne pour nous aider à déplacer ma fille. Le pire, c’est qu’on nous demande même d’enfiler des tabliers de plomb pour aider l’opérateur radiologiste à réaliser ses clichés pendant qu’il se réfugie derrière sa machine ! Ben oui, il faut assumer le fait de vivre dans un pays du Tiers Monde et serrer les dents. Pendant que nous attendons les résultats des radios, un cercueil passe, poussé par deux aides-soignants. Quelques minutes plus tard, nous serons un peu rassurés, notre fille ne souffre d’aucune fracture de la colonne ni de la tête d’ailleurs, pas non plus d’hématome cérébral. Elle est dans le coma mais réagit à la douleur, le coma est donc léger. J’ai la chance immense d’avoir mon ami Philippe A. qui me permet de bénéficier de l’assistance d’un médecin francophone travaillant pour International SOS et basé à Jakarta, le docteur Olivier, qui nous suivra quotidiennement tout au long de notre séjour de 10 jours dans cet hôpital. Il nous a constamment rassurés, prodigué des conseils, dépêché un membre de son équipe pour surveiller la qualité des soins et le meilleur médecin traumatologue de Bali dès le premier jour, un immense merci pour ses qualités humaines et son aide. Merci aussi à Vanessa pour son soutien psychologique et avoir débarqué à l’hôpital dès que notre fille s’est vraiment réveillée quatre jours après l’accident.
En raison de son coma, notre fille ne pouvait pas partir dans l’aile internationale de l’hôpital et il n’y avait pas de place en salle de réveil. Nous sommes donc restés aux urgences pendant 51 heures. Et c’est une expérience forte. Pas seulement parce que les cafards pointent parfois le bout de leur nez. C’est l’horreur mais on s’y habitue vite, trop vite. La tête de notre voisine pissait le sang par terre mais ça ne semblait émouvoir personne. Il y a très peu de personnel, la femme de ménage passe avec son balai pour soulever la poussière puis la serpillère... Nous nous sommes retrouvés en pleine nuit à 4 heures du matin à devoir changer seuls intégralement notre fille qui avait uriné sur elle, personne pour éponger le sol… Au bout de deux jours de ce régime, nous avons pu obtenir une chambre de réveil et tout a changé à ce moment-là, on a retrouvé le service extraordinaire à l’indonésienne, des infirmiers qui débarquent entre 5 et 10 secondes dès qu’on les appelle, aux petits soins, avec le sourire. J’écris aussi ce courrier pour les remercier des soins qu’ils ont tous prodigués à ma fille.
J’ai fait remarquer à une responsable du service des admissions que le gouverneur de Bali était parti se faire soigner le cœur à Singapour il y a quelques années. Il devrait bien plutôt prendre soin de ses administrés et faire en sorte d’avoir un hôpital à la hauteur de la fierté des Balinais pour aller s’y faire soigner lui aussi ! Elle a souri, gênée. Elle m’a appris que l’hôpital avait réalisé sa première greffe de reins quelques jours plus tôt. Elle m’a dit aussi que l’hôpital était vraiment débordé depuis la mise en place de la sécurité sociale indonésienne BPJS, il y a plus de 100% d’augmentation de fréquentation de l’hôpital depuis que ce système a été mis en place et que les gens peuvent se faire soigner presque gratuitement.
Hormis la présence précieuse des infirmiers et de certains médecins dans cet hôpital (mais pas tous), il y a quelque chose qui nous a apporté beaucoup de réconfort, c’est la cafeteria de l’aile internationale qui fait un des meilleurs nasi goreng de l’île, nous en avons mangé au moins deux ou trois par jour. Et enfin, le spectacle captivant des oiseaux à l’extérieur de l’hôpital. Ils sont des milliers et des milliers, sortes d’étourneaux, à faire leur parade avant le coucher du soleil, volant en vague au-dessus des palmiers du parking. Je n’ai pu m’empêcher de penser qu’ils portent les âmes de tous ceux qui ont perdu la vie à l’hôpital. Le lendemain matin vers 5h30, juste avant le lever du soleil, en passant sur le parking, je vois un couple discret en train de dresser un immense mât de bambou de plus de 10 m de haut surplombé par un filet disposé en V, ce sont des braconniers qui capturent ces oiseaux pour les revendre sans doute au marché ou dans leur boutique !

Socrate Georgiades
 

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motard dans la cendre

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merapi novembre 2010

face sud du merapi

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paysage de désolation après le passage des lahar