Aujourd’hui dimanche 23 avril est jour d’élection en France. J’ai fait mon devoir consciencieux de citoyen en glissant un bulletin dans l’urne ce midi, j’ai pris ma décision dans l’isoloir, j’hésitais entre le vote utile et celui qui se trouvait le moins loin de mes convictions. Mais ma conviction profonde, c’est que les hommes politiques maitrisent de moins en moins notre devenir, celui de nos pays et bien au-delà le devenir de l’humanité toute entière. J’ai été conforté dans cette idée dernièrement par un livre prêté par un ami de Sanur intitulé « l’Homme Nu » écrit conjointement par le journaliste Christophe Labbé et l’écrivain Marc Dugain. Cet essai de moins de 200 pages nous parle des GAFA et des NATU ou comment Google, Amazon, Facebook et Apple puis dans un second temps Netflix, AirBnb, Tesla et Uber ont changé irrémédiablement en moins de 15 ans le devenir de l’humanité et notre société. Or je n’ai trouvé presqu’aucune réponse à toutes les questions que pose ce livre pour notre avenir dans le programme des 11 candidats à l’élection présidentielle française.
L’un des points abordés dans ce livre, c’est que d’ici 20 ans, plusieurs études concordantes prouvent qu’environ 50% des emplois auront disparu, quasiment tous ceux des classes moyennes y compris journalistes et médecins et qu’il ne restera plus que des sales boulots mal payés ou bien des jobs à très haute valeur ajoutée requérant créativité et communication. Le progrès ne crée plus d’emplois et ce n’est pas la perspective d’un petit revenu universel de subsistance qui peut nous réjouir.
Un autre point, c’est l’incidence des tablettes sur le développement des enfants. Alors que tous les gosses des cadres de la Silicon Valley sont éduqués à l’ancienne dans une école Waldorf où l’ordinateur est prohibé jusqu’à l’âge de 14 ans, des études très sérieuses prouvent que les tablettes provoquent des troubles de l’attention, des retards de langage, entrave le principe de causalité et cause la perte de la notion du temps, une altération de la motricité fine et globale et nuit à la socialisation. Pourtant, la ministre actuelle de l’Education française a lancé un grand plan d’investissement pour équiper toutes les écoles avec ces fameuses tablettes.
Environ 80 % de toutes nos lectures, de nos recherches, de nos requêtes sur nos téléphones portables, nos liseuses et nos ordinateurs sont stockés dans la mémoire des méga-ordinateurs de ces entreprises de big data, d’où le titre de ce livre qui met en lumière le fait que nous n’avons jamais été autant espionnés et mis à nu. Elles permettent ensuite à ces entreprises qui se revendent les données de mieux nous cibler et de nous enfermer dans des bulles. Qu’on nous propose une publicité pour le sac à dos de nos rêves parce que nous avons parlé avec un ami il y a deux jours d’une rando sur un email, ça ne pose pas de problème mais ça doit nous mettre la puce à l’oreille. Si on est malade et que l’info est revendue à une assurance… Si on veut garder un tant soit peu privées nos affaires et notre vie alors que tout, absolument tout, est enregistré et peut être utilisé à notre encontre des années plus tard, alors, il est nécessaire de s’insurger contre cela sans renier le formidable outil que représente Internet.
La dernière partie du livre étudie les domaines dans lesquels ces grandes entreprises, qui sont devenues plus puissantes que les états, ont investi… et ça fait froid dans le dos. Si vous n’avez jamais entendu parler de transhumanisme, vous allez en comprendre les mécanismes. On étudie comment nous greffer de la mémoire et on greffe déjà des membres directement au cerveau, l’intelligence artificielle a fait tellement de progrès que les ordinateurs sont maintenant auto-apprenants et nul doute qu’ils nous dépasseront un jour très prochain. Dans la mesure où ces GAFA et ces NATU, grâce à Internet, ne sont plus limités par les frontières ni par aucune législation, les hommes politiques n’ont plus aucun pouvoir sur elles.
J’ai bien sûr beaucoup pensé à cette phrase de Rabelais en lisant ce livre : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » et nos politiques actuels sont complètement dépassés par ces enjeux, ils ne sont préoccupés que par leurs carrières et la manière de se faire offrir des costumes à 6000 euros pièce. C’est à nous, citoyens de nous mobiliser sur ce sujet. Je me propose de le prêter à ceux qui m’en feront la demande.
Socrate Georgiades
« L’Homme Nu, la dictature invisible du numérique » de Marc Dugain et Christophe Labbé, Ed. Robert Laffont et Plon. 196 pages, 17.90 euros.