Cher Cyril,
Merci pour votre courrier franc et direct, je vais tâcher de l’être aussi au risque de froisser des susceptibilités. Disons alors que ce courrier n’engage pas le journal mais simplement son auteur en qualité de citoyen investi dans le devenir de Bali.
D’abord, je voudrais préciser que je suis surpris par l’instinct de propriété de ceux qui nous contactent à travers le journal et surtout par l’Internet. Ils ne sont pas encore installés, ils ne connaissent encore rien à Bali qu’ils veulent déjà acheter un morceau de rizière et veulent tout apprendre du hak milik et du hak pakai. Pour ma part, je pense que ces belles rizières, la richesse paysagère de Bali, mais aussi l’instrument de production alimentaire, actuel et futur, de la céréale la plus consommée au monde, sont en danger ! A l’heure où le monde a connu ses premières émeutes à cause de l’augmentation des denrées alimentaires, il est urgent de réfléchir à la disparition des rizières.
J’ai décidé d’illustrer votre propos par une photo d’un projet en cours dans une rizière d’Umalas. Je n’en connais pas le promoteur mais je trouve cette photo très représentative de l’esprit de ceux qui stérilisent les rizières pour y installer des villas. Je pensais que c’était une zone verte protégée et puis soudain, il y a quelques mois, des ouvriers sont arrivés et ont percé une route en plein centre de cette rizière magnifique. Sans doute le propriétaire a-t-il eu les connexions nécessaires au cadastre pour déclasser la zone… Mais là n’est pas tant le problème. Ce qui m’étonne le plus, c’est que la villa n’offre même pas de vue sur les rizières, les murs la dissimulent totalement sans doute par peur des voleurs, et ils sont légion à Umalas et Canggu d’après mon ami Nicolas qui me tanne depuis des mois pour que nous écrivions sur le sujet dans le journal. Alors à quoi bon bétonner une rizière, sacrifier en quelques jours le long travail de paysans à travers des siècles pour construire une villa totalement repliée sur elle-même, petit coffre-fort enchâssé au milieu de rizières, comprenant l’écran plasma de rigueur et quelques babioles pour justifier d’un tarif de location de 300 dollars la nuit ?
Je comprends bien que s’il n’y avait pas de paysans pour vendre ou louer leurs terres, il n’y aurait pas de villa. On ne peut pas non plus s’opposer au développement. Mais de quel développement s’agit-il à Canggu ou Umalas ? Comme le soulignait Magali dans son courrier de la Gazette du mois de juin, reprenant un article du Courrier International concernant une petite paysanne d’Umalas, nous avons notre part de responsabilité dans le développement de Bali. Alors quelle solution pour tous ceux qui veulent bâtir à tout prix ? J’observe que certaines personnes conscientes de ces enjeux se contentent de réhabiliter des maisons déjà existantes ou bien construisent sur des terres non agricoles.
Il y a une vraie contradiction entre le désir des gens de se fixer à Bali, en partie pour ses célèbres rizières, et de les bétonner dès que possible pour se construire un ensemble de villas et même son petit chez soi, la taille du projet ni son objet n’excusent rien !
Concernant la dernière partie du courrier sur la propriété intellectuelle, artistique et industrielle (attention à ne pas tout mélanger), le hasard a voulu que l’édition de juillet l’aborde à travers trois articles, bien observé ! Vous avez la dent dure contre Roberto Tenace, peut-être l’article a-t-il usé de trop de raccourcis pour que vous vous fassiez une idée juste de son combat. Si je prends la plume pour le défendre, ce n’est pas parce qu’il soutient ce journal par son encart publicitaire. Il me semble avoir une vraie pensée à long terme pour l’Indonésie et la qualité de ses artisans.C’est un homme courageux et seul face à l’adversité. J’ai assisté au mois de juillet à une très intéressante réunion où un spécialiste indonésien de la propriété industrielle, descendu de Jakarta pour le procès qui oppose John Hardy à un Balinais, a rencontré les copieurs de Sens’O, la marque de Roberto Tenace. C’était intéressant d’entendre cet homme expliquer que l’artisan est tout aussi responsable que son client quand il réalise des copies. Roberto en a profité pour annoncer qu’il ne toucherait pas une roupie des royalties qu’on lui devait, il a le projet de verser toutes ces royalties pour monter une école de design afin que les enfants de ses contrefacteurs ne soient pas obligés de copier et qu’ils gagnent mieux leur vie ! Quelques semaines plus tard, le 4 août, il m’a annoncé qu’un des copieurs avaient décidé de payer des royalties, la première bataille est gagnée !
Il y a bien sûr un parallèle entre mes propos sur l’immobilier et ceux sur la propriété intellectuelle : notre place ici, ce que nous déséquilibrons, ce que nous pouvons apporter pour le futur. Pour ma part, j’avoue que je soutiendrai ce projet d’école du design dans le droit fil de ce que le Père Maurice a monté en 1982, l’école de sculpture Sasana Hasta Karya à Gyaniar, sur laquelle nous avons écrit un article en janvier 2006 dans la Gazette.
Socrate Georgiades
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