Notre ancien contributeur Rainer, « Ze billettiste séminal » de la Gazette de Bali, « Ze père spirituel » de tous les chroniqueurs qui sont passés dans ces pages, s’étonne que nous n’ayons point commis de poisson d’avril cette année. En conséquence, il en a vu partout…
Bonjour l’équipe LGdB, malgré une lecture attentive de la dernière édition de La Gazette de Bali, je n’y ai pas pu déterminer avec certitude le poisson d’avril habituel (mon cynisme me fait soupçonner un sur presque chaque page). J’ai finalement été gagné par la conviction que c’est l’ensemble des quatre courriers de lecteurs qui en ont fait l’office : entre un amoureux de David Bowie qui veut changer les membres de la rédaction en nécrologues, une ancienne billettiste qui ne digère pas que sa successeur ait un point de vue différent du sien, une vacancière ingénue qui s’est fait grugée par les taxis (Ah ma pauvre, et t’as encore rien vu !) et un ex-habitant de l’île qui ne voit pas les prix s’envoler… avouez qu’un poisson-clown chasse l’autre. Pour pimenter un peu le débat, je vous transmets quelques réflexions personnelles sous la forme de l’article ci-dessous que je vous propose de publier dans la même rubrique. Cordialement.
Rainer
Voici donc le texte de sa majesté Rainer…
Eh ben mon colon ! Parmi les innombrables lecteurs du Petit Prince, peu nombreux sont ceux qui se souviennent que Saint-Exupéry avait dédié ce conte à son meilleur ami, Léon Werth. Plus rares encore sont ceux qui connaissent cet écrivain haut en couleur, un personnage si extraordinaire qu’il méritait le qualificatif « meilleur ami » de la part de l’auteur du Petit Prince.
Léon Werth était un romancier, chroniqueur, critique d’art, anticonformiste et antimilitariste que ses biographes qualifient comme insoumis et libertaire. Ce qui est certain, c’est que la plume de cet anticolonialiste convaincu était assez caustique pour le rendre infréquentable dans les milieux conformistes : dans la France des années 1920, l’anticolonialisme était un concept foncièrement à contre-courant. Voici un extrait du pamphlet rageur que Werth écrivit en 1926 sur la bêtise de la gent coloniale après un voyage en Cochinchine :
« L’Européen d’ici est sans mystère, facile à lire. Mais il n’a plus rien d’européen. […] C’est que tous […] ayant connu en Europe la contrainte sociale ou la discipline, sont devenus en Asie des potentats. Voici, privés de contrainte extérieure, des hommes qui n’en connaissent point d’autre. Ils sont aussi les victimes d’un formidable décalage social. Ils subissent l’ivresse du nouveau riche à un degré qui n’est point imaginable en Europe. Car ils n’ont pas seulement cette puissance que donne l’argent. Ils ont la puissance. La couleur de leur peau et la saillie de leur nez leur confèrent une immédiate royauté. […] Leur grossièreté est intolérable. »
Comme les choses ont changé ! Aujourd’hui, 90 ans plus tard, l’expatrié européen installé en Asie du Sud-Est n’est pas un colon et n’a plus rien d’un potentat. Au lieu de soumettre les indigènes de jadis, il subit piteusement l’attitude raciste des autochtones et se voit confronté à une législation profondément xénophobe.
La puissance que lui donnait l’argent s’est effritée depuis que les fils d’un peuple « plus si arriéré que ça » ont compris comment traire jusqu’à l’excès vaches, bœufs, vachères et vachers venus d’un Occident opulent qui suscite la convoitise.
Même son nez aquilin ne lui procure plus la moindre élévation royale depuis que les dames de la bourgeoisie locale se font affiner leurs pifs camus mieux que les toubibs-balafreurs de Michael Jackson ne l’eussent jamais réussis.
Enfin, l’expat actuel ne se permet plus un comportement grossier envers son entourage, car il a été éduqué selon les concepts démocratiques de son pays natal hautement développé. Il a donc intégré l’égalitarisme qui veut que tous les êtres se valent, même le dernier des ressortissants d’un pays sous-développé.
Peut être est-ce aussi un peu grâce aux observations lucides des Léon Werth et aux réflexions sur la valeur de l’amitié du Petit Prince que le 3e millénaire n’est plus colonialiste et le respect d’autrui s’est généralisé !
Ou est-ce que je me trompe ?
Rainer
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